Il y a quelques mois une enseigne de restauration rapide confiait à SENZO une étude portant sur leur offre de burgers gourmets. Mener des entretiens auprès de consommateurs amateurs de hamburgers gourmets s’est avéré très incitatif, l’appétit s’aiguisant forcément au contact d’interviewés qui racontent leur dîner de la veille, décrivent avec l’expertise de l’habitué le moelleux du pain, le croquant des frites, les saveurs de leur sauce préférée, le fondant du cookie en dessert…
Ce genre d’entretien pousse au vice : on note les bonnes adresses et on s’empresse d’aller les tester soi-même, par « conscience professionnelle » (😇).
Des burgers pour tous les gourmets, rue du Faubourg Poissonnière
Et si l’envie de burgers se fait vraiment trop forte à l’heure du déjeuner, SENZO, qui a ses bureaux sur la très fréquentée rue du Faubourg Poissonnière dans le 10e arrondissement de Paris, a l’embarras du choix : la fameuse enseigne frenchie Big Fernand a un restaurant au n° 55, Père & Fish au n° 67, Les burgers de Papa et L’Artisans du burger au n° 80, Baoli Bao au n° 89 (et Factory & Co au n° 58 il y a peu de temps). Au-delà du burger, la concentration d’enseignes de restauration et leur renouvellement sont tels que la rue se laisse appréhender à la façon d’un observatoire des tendances culinaires.
Ceci dit, ça n’a pas toujours été le cas : la rue du Faubourg Poissonnière a auparavant été spécialisée dans le commerce de la fourrure. Au 19e siècle, les fourreurs y tenaient boutique dans le prolongement du Sentier. Quelques rares magasins y ont encore leur vitrine. Lien vers Internet ? L’expérience urbaine a bien changé sur cette rue qui a troqué ses manteaux de vison pour des steaks vegan et bouge désormais au rythme des innovations alimentaires. Qui plus est, historiquement, la rue du Faubourg Poissonnière se situait à l’extérieur de la muraille ceinturant Paris donc en dehors de la ville proprement dite, dans un périmètre dit « faux bourg ». Bien entendu, la rue n’a plus aucun mal à prouver son urbanité aujourd’hui. Et du reste le burger qui a dominé la carte de ses restaurants ces dernières années, est lui-même fondamentalement lié à l’espace urbain.
L’expérience du hamburger – frites, au cœur de la ville contemporaine
En take away, servi sur place, livré à domicile ou même fait maison, le hamburger est au cœur des pratiques alimentaires de la ville contemporaine. Au départ, il se mange en dehors du foyer et en bonne compagnie, plus particulièrement dans une des chaînes de la catégorie des fast foods : McDonald’s, KFC, Quick, Burger King. Si l’offre et les pratiques de consommation se sont considérablement diversifiées jusqu’à aujourd’hui, en revanche les avantages à croquer dans un burger sont restés inchangés :
>> c’est efficace et rapide, et ce dès le passage de commande en caisse ou à la borne,
>> c’est « fun » et en général convivial : la consommation d’un burger constitue en soi un moment de loisir,
>> c’est satisfaisant et rassurant car le hamburger-frites (du moins dans sa formule classique) est prédictible dans ses saveurs. Le burger dispense une satisfaction facile et immédiate quand on a vraiment faim.
A ce propos, le site Elle.fr résume parfaitement bien le motif primaire qui conduit au burger :
Pourquoi on y va ? Parce qu’on a les crocs et qu’on a envie de bidoche et de cheddar dégoulinant
Aussi dans ce contexte, tenir son burger à pleines mains, croquer dedans à pleines dents, ça a quelque chose de jouissif. Les géants du burger exploitent ce levier quand ils nous mettent sous les yeux, via la publicité, des burgers shootés en gros plan et sublimés par la retouche, faisant ainsi d’eux la star de ce que d’aucuns appellent le foodporn ; ce néologisme, foodporn, désigne le phénomène de mise en visibilité de photographies culinaires qui, habilement mises en scène et magnifiées jusqu’à parfois en devenir irréelles, veulent faire de la nourriture un objet de fantasme. L’idée sous-jacente est d’exploiter l’image pour attiser le plaisir des sens et la gourmandise (plus de détails ici).
Le hamburger est à l’origine bien plus modestement un simple steak de bœuf haché, sans le pain du sandwich, populaire chez les marins du port de Hambourg. Au 19e siècle, les immigrés allemands emportent avec eux la recette de ce plat simple et bon marché qu’ils proposent dans leurs restaurants aux Etats-Unis. Ensuite, la popularité du hamburger ne cesse de croître à partir des années 1930, suscitant enthousiasme mais aussi réactions de rejet parfois très idéologiques.
L’opinion sur le hamburger, très ambivalente
Le hamburger agite l’ opinion autant qu’il excite les papilles. Dans l’imaginaire collectif, il reste le symbole du prêt-à-manger made in USA, de la globalisation, de la société de loisirs et de consommation. Et dans l’esprit des gourmets, le hamburger a classiquement été associé à un faux aliment, inintéressant, gras et mou, surchargé d’additifs. Le journaliste Didier Pourquery n’y va pas de main morte quand il réduit, non sans ironie, le hamburger-frites à un « simulacre de repas », bon à susciter un comportement alimentaire régressif et nocif. Il part des travaux qu’a menés George Ritzer sur le phénomène de « mcdonalidisation de la société » pour dénoncer les dérives de cette société, en matière de santé collective notamment. On se souvient, sur ce sujet, du documentaire choc réalisé par Morgan Spurlock en 2004 qui clouait McDonald’s au pilori de la malbouffe : « Super Size Me ».
Et pourtant, bien que sérieusement attaqué, le burger n’a pas dit son dernier mot : ces dernières années ont oeuvré à sa réhabilitation. Au fond, le propre du burger de dernière génération est qu’il se déguste et se savoure plus qu’il ne se consomme. En montant en gamme et en s’ouvrant à la diversité des fromages français, à des pains divers et variés (dont sans gluten) ou encore aux steaks vegans à base de purée de pois chiches, le burger se fait moins standard, les enseignes se montrent soucieuses de la qualité de leurs produits mais aussi du packaging en fonction de l’évolution des goûts et des mentalités.
Le savoureux succès du burger gourmet, à Paris et dans les grandes villes
Dans toutes les grandes villes comme Paris, les adresses où savourer un burger gourmet ou haut de gamme sont à la portée d’un clic : on nous conseille, entre autres, pour un burger classique, l’enseigne Le camion qui fume, ou encore Five Guys pour déguster un hamburger à l’américaine. Chez des enseignes comme Big Fernand ou Bioburger (passage Choiseul dans le 2e arrondissement), on nous promet un retour au « savoir manger » : sauces et frites maison, viande française, fromages du terroir, saisonnalité des produits…
Plus généralement, l’argument du retour à la tradition confère au burger une légitimité qu’il avait perdu. En parlant de tradition, on ressuscite aussi bien le terroir (en dégustant un burger à la tomme de Savoie ou à la fourme d’Ambert…) qu’on réactive les caractéristiques américaines du supposé « véritable » hamburger (en ajoutant onion rings, bacon et cheddar, coleslaw en accompagnement…) comme chez 231 East Street. Le burger, qu’il soit désormais frenchie, premium, vegan… est de toute façon de plus en plus haut ! Il s’invite à la carte de restaurants parfois tout à fait éloignés du modèle du fast food où il est servi avec des couverts et où ses recettes sont revisitées par les chefs en cuisine.
A contrario, dans la restauration rapide, le burger gourmet multiplie les efforts pour mériter une confiance abîmée, à l’exemple de Steak’n Shake et ses cuisines ouvertes où les burgers sont assemblés sous les yeux des clients en caisse.
Et sinon, il y a aussi les burgers maison, en général moins photogéniques parce que moins stables mais personnalisables à souhait et distrayants : excellent joker pour ajouter du piment au train-train quotidien en période de confinement.
La « burger mania », une tendance qui touche à sa fin ?
Ce qu’on peut dire, c’est qu’actuellement, la tendance rue du Faubourg Poissonnière est en train de bouger : on y trouve de plus en plus de pâtes asiatiques et de pizzas nouvelle génération…
>> Pour continuer de se mettre en appétit sur la piste du burger…
> Article de SENZO en 2016 Les insectes dans nos pâtes à tartiner et hamburger
> Loïc Bienassis, historien de l’alimentation pour France Inter, février 2019, « D’où viennent les hamburgers ? »
> New York Magazine, juin 2015, « An Animated History of the Hamburger »
> Ritzer G., Tous rationalisés. La mcdonaldisation de la société, Paris, Alban, 1998
> Pourquery D., Une histoire de hamburger-frites, Paris, Robert Laffont, 2019.
SENZO décode une autre tendance, “du coup”, aller voir !